Au fond de mes yeux, tu trouveras les réponses. || YOAN

Reagan était assise là, depuis plus d'une trentaine de minutes, sur ce banc . Modeste pièce de bois assemblée à l'aide de quelques clous, sensé ressembler à un siège des années 1800 dans tout son éclat. Le tout n'en était pas moins un pose-fesse & il n'y avait pas grand chose de glorieux dans cette fonction. Elle observait toute cette mascarade qui l'entourait, belle reproduction de ce que la populace de l'ancien temps considérait comme grandiose, que dis-je, extra-or-di-naire ! En quoi est-ce que ce petit géranium non loin d'un myosotis qui n'osait pas encore s'ouvrir, rappelait-il le siècle passé ? Tout ça n'était qu'un espoir aveugle de ramener à la réalité ce qui depuis longtemps était oublié. Qui de tout ces passants cherchaient à savoir ce que quelqu'un d'autre avait pu vivre, ici au pied de cet arbre, il y a plus de cinquante ans ? Personne. L'homme est trop égocentrique pour se poser ce genre de question. Regarder en arrière, s'imaginer ce que de sombres inconnus morts depuis des dizaines d'années avaient bien pu y vivre ? Non, ils avaient mieux à faire, métro-boulot, il fallait aller toujours plus vite, toujours plus loin. Ils étaient ambitieux et... butés. Il n'y avait pas un moment à perdre dans la verdure, alors si en plus celle-ci était naturelle. Imaginez, qu'il y ait de la mauvaise herbe ! C'était impensable ! Il fallait que même la nature ait une allure, disons respectable. Ca faisait tellement mieux de venir se ressourcer au parc des Princes que d'avouer que l'on avait fait une promenade dans la forêt. La forêt ? A Paris ? Décidément, il fallait vraiment être un campagnard pour oser prononcer de tels mots !

Quoi qu'il en soit ce quotidien organisé à la minute près, balayait tout sur son passage, il n'y avait plus de surprises, lorsque le feu piéton était rouge, ils étaient tous là à attendre patiemment et c'est presque automatiquement que chacun d'eux se remettait en "état de marche" lorsque le petit bonhomme était vert. Ils avaient des heures fixes, ils marchaient rapidement, il ne faudrait tout de même pas qu'ils aient quelques minutes de retard. Il n'y avait aucun élément qui différencierait leur journée de celle de la veille. Reagan les plaignait.

Reagan se plaignait.
Elle ne voulait pas suivre cette voie, que ferait-elle si un matin elle s'apercevait que toute sa semaine était planifiée. Qu'elle n'avait plus un moment à accorder à une décision prise sur le fait ? Si elle n'avait plus un instant à partager avec un ami rencontré au détour d'une rue. Ça n'arriverait pas. Même si elle pouvait faire preuve de beaucoup d'organisation, elle aimait prendre la vie comme elle venait. Mais si possible, la partager avec quelqu'un. Reagan avait des qualités et des défauts comme tout un chacun, mais la particularité principale de la jeune fille, c'était qu'elle n'aimait pas être seule. Cela pouvait être une qualité car elle était prête à tout donner pour l'autre, prête à être déçue & prête à pardonner ou à oublier. Cela pouvait être un défaut, n'était-elle pas assez bien dans sa peau pour faire face au monde seule ? Elle savait néanmoins ne pas être collante... Mais se réveiller seule chaque matin, préparer le repas pour une seule personne, mettre la musique que l'on aime sans faire l'effort d'écouter un autre genre, celui qu'un ami nous fait découvrir et qui peut-être nous plaira ou au contraire semblera nous transpercer les tympans avec un marteau piqueur, ne ranger l'appartement que dans le mince espoir d'une visite impromptue, rester habillée d'un simple vieux jean ou en pyjama toute la journée parce que l'on sait qu'on ne verra personne. Elle ne pouvait pas s'y faire. Elle avait ce besoin de partager les choses, les bonnes comme les mauvaises. Parce que Reagan n'était pas une rêveuse, ou du moins elle ne l'était plus. Elle savait qu'une relation soit elle amicale ou plus profonde, comprenait des hauts mais aussi des bas. Beaucoup de bas. Mais c'est à plusieurs qu'on se bat le mieux...

Alors que faisait-elle dans ce parc qu'elle trouvait superficiel, dans une situation qu'elle avait prévue à l'avance et qui plus est, seule ? N'était-ce pas les trois points qu'elle semblait affectionner le moins ? Quel était alors le but de cette position désagréable ? Elle était toujours assise, exposée au monde telle une brindille face au vent, fragile & friable. Elle avait donné ce fichu rendez-vous à Yoan. Ca ne rimait pas à grand chose, du moins, c'était ce qu'elle se disait depuis quelques minutes, parce qu'évidemment, en sa présence elle ne savait pas quelle attitude adoptée, la situation était assez embarrassante. Car même après toutes ses années elle ressentait pour le jeune homme quelque chose de fort & dont il n'avait pas conscience. C'est vrai qu'elle pouvait aller de l'avant et décider que tout cela n'appartenait qu'au passé. Elle avait prit du recul et elle s'en savait capable, seulement peut-être que lui avait besoin d'elle. Ou alors était-ce uniquement ce qu'elle aimait à croire. Et puis il y avait aussi Camille, elle n'avait pas envie de laisser la demoiselle traverser cette épreuve toute seule. Mais surtout... elle tenait toujours à lui, alors pouvait-elle réellement laisser passer cette chance ?